Il a présenté ses derniers résultats à la conférence annuelle pour l’Avancement de la science à Boston : «Il s’agit là d’une piste réellement intéressante sur le plan biologique et qui devrait être surtout efficace chez les enfants qui n’ont pas encore constitué toute leur flore bactérienne buccale», commente Pierre Baehni, responsable de la division de médecine dentaire préventive de l’Université de Genève. C’est pourquoi Jeffrey Hillman se bat aujourd’hui bec et ongles pour que la Food and Drug Administration (FDA), l’organe de contrôle américain, l’autorise enfin à mener une série de tests à grande échelle sur des êtres humains. Même si sa méthode risque de rebuter tous ceux à qui l’expression «organisme génétiquement modifié» donne la chair de poule.
Plus de cinq cents espèces de bactéries colonisent notre cavité buccale, mais une seule d’entre elles est responsable de nonante pour cent des caries. Elle s’appelle Streptococcus mutans. Pendant des millions d’années, l’homme et elle ont vécu en bons termes, jusqu’à ce que le premier intègre les sucres raffinés dans son alimentation. Gourmande, la mutante s’en est également délecté. «Mais elle le fait en produisant de l’acide lactique qui déminéralise l’émail et provoque les caries», précise le spécialiste genevois.
Vaccins prometteurs
Alors que d’autres chercheurs se lancent sur la piste de vaccins, Jeffrey Hillman choisit une autre direction: le remplacement de cette méchante bactérie par une autre, capable de la détruire et d’occuper sa niche écologique dans notre bouche. Son équipe et lui prélèvent alors des échantillons dans la cavité buccale de centaines de patients en quête d’une cousine proche de Streptococcus mutans, capable de l’annihiler. Ils trouvent la perle rare, armée d’une toxine appelée mutacine 1140, qui ne laisse aucune chance à l’ennemi.
Seulement, la petite nouvelle sécrète aussi l’indésirable acide lactique. Les chercheurs se remettent au travail, cette fois pour retirer le gène responsable de cette sécrétion néfaste. Consécration, à la fin des années 1990, Jeffrey Hillman peut enfin présenter BCS3-L1, «sa» bactérie miracle qui, appliquée en solution sur les dents, montre une diminution très nette des caries chez des rats de laboratoire. Mieux, la mutacine, qui s’apparente à un antibiotique, ne semble pas créer de souches de Streptococcus mutans résistantes.
Alors solution miracle, vraiment? Seuls des essais sur des êtres humains pourront le dire. Et si Jeffrey Hillman tient tant à obtenir ces autorisations, c’est qu’il a breveté sa bactérie et créé sa propre société OraGen Inc. Or du côté de ceux qui planchent sur les vaccins, on annonce aussi des résultats prometteurs. Un produit est actuellement dans la phase des essais cliniques au Guy’s Hospital de Londres, mais comme il ne suscite pas de réponse immunitaire, il exigerait un rappel chaque année. Quant à la solution américaine du Forsyth Institute, elle consiste en un vaccin qui s’attaquerait à l’enzyme qui permet à Streptococcus mutans de s’attacher à la dent.
Il faudra sans doute encore plusieurs années avant que ces traitements ne soient disponibles. Et surtout, ils n’affranchiront pas d’un entretien quotidien des dents…
Le 21 mars 2002 Webdo.ch