«Jusqu’à 10 ou 15%, c’est gérable. A partir de 20%, cela devient problématique», estime Jean-Luc Montignot, installé à Boulogne-sur-Mer avec deux confrères. Entre janvier et septembre 2004, leurs clientèles étaient constituées de 26% à près de 50% de bénéficiaires de la CMU. «Je ne dis pas que la profession ne veut pas les prendre en charge, mais il faut que les remboursements tiennent compte des réalités. Il y a cinq ans que la CMU a été mise en place, sans revalorisation des soins», confie le docteur Montignot, responsable de la CNSD pour la Côte d’Opale.
«Ce que nous demandons, c’est une réévaluation des tarifs des prothèses et de l’orthodontie», précise Dominique Le Jan, de Tourcoing, responsable régional de la CNSD. D’après ses calculs, certains «tarifs sont 20% en dessous du coût le plus bas du marché». Concrètement, sur une couronne en métal remboursée à 213 euros, «il faudrait passer à 250 ou 260 euros», juge-t-il.
Les dentistes pointent d’autres difficultés. Les patients bénéficiaires de la CMU seraient plus nombreux à «oublier» les rendez-vous ou, une fois l’intervention urgente effectuée, à ne pas suivre l’ensemble des soins programmés. Or le praticien n’est remboursé que lorsque le protocole va à son terme.
La moitié environ des patients d’Arthur Ruiz, à Liévin, bénéficie de la CMU. «Quand on s’installe ici, on sait bien que l’on n’est pas à Neuilly», mais, «très honnêtement, j’ai failli partir plusieurs fois». Le docteur Ruiz n’a pas d’assistante médicale. «Je réponds moi-même au téléphone», et «j’ai toujours un retard faramineux» dans l’administratif, poursuit-il. «Quand nos cabinets ferment, ils ne sont pas repris», regrette Dominique Le Jan. «Mon cabinet est invendable. Mon ancien associé a essayé de vendre pendant deux ans.» Les jeunes préfèrent s’installer dans «les zones où la clientèle est assez aisée», commente Jean-Luc Montignot.
L’union régionale des caisses maladie recensait 1 700 chirurgiens-dentistes dans le Nord – Pas-de-Calais en 2002, soit 42 praticiens pour 100 000 habitants (62 au niveau national). «Plus d’un praticien sur trois est âgé de plus de 50 ans et devrait cesser son activité au cours des 10 prochaines années», précise l’étude, qui compte 16% de «moins de 35 ans». «Le renouvellement de la population des dentistes sera donc difficilement réalisable», conclut l’Urcam.
Parallèlement, les promotions de chirurgiens-dentistes à la faculté de Lille sont passées d’une centaine dans les années 70 à environ soixante actuellement. Depuis quelques années, le numerus clausus lillois connaît cependant une hausse légère mais régulière.
De son côté, l’UJCD (Union des jeunes chirurgiens dentistes) partage le constat de la CNSD, tout en rejetant le mot d’ordre retiré aussitôt que lancé. «Il est urgent de réformer la CMU», estime son président régional, Hervé Baelde, mais «ce n’est pas de la faute des bénéficiaires si le système est bancal». «Il faudrait des incitations pour s’installer en zone difficile», comme des «exonérations de charges à l’embauche», propose-t-il.
(1) Chiffres de la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales, arrêtés fin 2003.