«La formation en médecine dentaire est excellente en Suisse» – © P. Frautschi
Mille dentistes étrangers d’un coup, voilà qui va sûrement déstabiliser la profession. «On peut parler de danger, cela ne fait aucun doute», annonce Me Alex Weber, avocat et secrétaire général de la SSO, la Société suisse d’odontostomatologie, qui regroupe près de 98% de la corporation. «Si l’on prend l’ensemble du pays, il y a suffisamment de praticiens pour couvrir les besoins dentaires de la population. Que va-t-on faire de tous ces nouveaux venus?»
Trop de dentistes, pas assez de travail. «Alors, articule péniblement le patient entre deux attaques de fraise, vous allez baisser le prix de ma couronne, docteur?» Pas forcément, répondent tous les acteurs interrogés dans cette enquête. En Suisse, les loyers sont chers, les assistantes dentaires et les secrétaires médicales mieux payées qu’en France, en Allemagne ou en Italie. En outre, la motivation des étrangers à s’installer en Suisse est souvent financière. Par contre, relèvent les spécialistes, la qualité des soins pourrait baisser. «La formation en médecine dentaire est excellente en Suisse. Il n’y a pas d’équivalent en Europe», affirme Yves Chatillon, porte-parole de la section genevoise de la SSO. «Une obturation, par exemple, tient quatre à cinq ans en Allemagne, alors qu’elle a une durée de vie de quinze à vingt ans en Suisse.»
500 nouveaux cabinets
Alex Weber estime que, dans les deux ans à venir, 4 à 500 nouveaux cabinets dentaires ouvriront leurs portes. Le phénomène frappe de plein fouet la Suisse alémanique, surtout Zurich. La Romandie est touchée de manière beaucoup plus marginale, principalement le Valais et la Côte vaudoise. A Genève, les effets de l’ouverture du marché du travail aux Européens se font à peine sentir. Quatre cabinets seulement ont été repris par des praticiens français. Il en va de même dans les autres cantons frontaliers, là où la concurrence est vive, mais reste domiciliée de l’autre côté de la frontière.
A Zurich, c’est une autre paire de manches. Un tiers des étrangers qui s’étaient installés depuis la libre circulation ont déjà mis la clé sous le paillasson. «Ils n’ont pas fait faillite, mais perdu beaucoup de plumes dans l’aventure. Ca se compte en centaines de milliers de francs», commente l’avocat de la SSO.
Ce sont les dentistes allemands qui sont le plus intéressés à venir travailler en Suisse. La raison en est simple: «En Allemagne, les soins dentaires sont réglementés par l’Etat. Lorsqu’il atteint un certain chiffre d’affaires, un dentiste est contraint de s’arrêter de travailler», explique le professeur Jacky Samson, médecin chef de la Division de stomatologie, chirurgie orale et radiologie dento-maxillo-faciale à Genève. «Beaucoup sont donc tentés, pour arrondir leurs revenus, d’ouvrir un cabinet dans un autre pays.» Comme la Suisse.
«Je connais un dentiste allemand installé à Saint-Gall, qui possède trois cabinets dans trois pays: Allemagne, Autriche et Suisse», s’exclame le professeur Samson. «Et ceci sans aucun contrôle, ni de Berne, ni des associations professionnelles.»
Outre sa charge universitaire, Jacky Samson est aussi président de la Swiss Dental Society. Créée en 1999, la SDS joue le rôle de trublion en Suisse romande. «La SSO n’a exigé aucune mesure d’accompagnement lorsque le marché s’est ouvert, aucune planification des besoins en soins dentaires», dénonce son président. «La reconnaissance des diplômes par Berne est une simple formalité effectuée sur dossier. Comment alors contrôler la qualité des soins?»
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265 dentistes privés à Genève
Entre le 1er juillet 2002 et le 31 juin 2005, 897 dentistes étrangers ont demandé la reconnaissance de leurs diplômes à l’Office fédéral de la santé publique, dont 115 spécialistes (orthodontistes et parodontologues).
606 sont Allemands, 117 Français, 56 Suédois, 38 Italiens, 25 Danois, 20 Belges, 12 Néerlandais; les autres demandes, en nombre anecdotique, proviennent de Grecs, Finlandais, Britanniques, Norvégiens, Autrichiens, Espagnols et Portugais.
Selon la SSO (Société suisse d’odontostomatologie), on recense 4400 dentistes pour l’ensemble de la Suisse, dont 3747 installés en cabinet.
Genève compte 265 dentistes en pratique privée, Vaud 334, le Valais 113, Fribourg 94, Neuchâtel 78 et le Jura 18. C’est à Zurich que les spécialistes des dents sont les plus nombreux: 712.
Chiffres auxquels il convient d’ajouter les professeurs d’Université, ainsi que les dentistes employés dans un cabinet ne leur appartenant pas ou dans des cliniques dentaires. (pz)
PASCALE ZIMMERMANN
Publié le 07 octobre 2005 Tribune de Genêve