Il synthétise les travaux de
– Jean-Marie LANDOUZY, Ostéopathe
– Jacques CLAIRE, Docteur en Chirurgie Dentaire
– Professeur Michel DONAZZAN, Chef du Service de Chirurgie Maxillo-Faciale du C.H.R.U. de Lille
– Docteur Joël FERRI, Chef de Clinique dans le Service de Chirurgie Maxillo-Faciale du C.H.R.U. de Lille
– Docteur Guy HAMME Docteur en Chirurgie Dentaire
I. préambule
Nous nous proposons dans cette série d’articles de vous donner une technique de diagnostic et de traitement des dysfonctions crânio-mandibulaires, basée sur des éléments parfaitement reproductibles et sur un raisonnement anatomo-physiologique clair. Il est certain que cette approche n’est pas pour autant très simple, mais elle a le mérite d’être logique et toujours reproductible.
Analyser les éléments cliniques, pour les confirmer par la paraclinique, et en tirer des déductions thérapeutiques claires et précises, a été le but de nos recherches.
La posture et les éléments essentiels du système manducateur seront pris en compte, pour obtenir une conception globale des étiologies de cette pathologie.
II. introduction
La complexité de la dysfonction crânio-mandibulaire se comprend déjà par le nombre d’appellations différentes, dont
elle a été l’objet. Costen, en 1934, décrit son syndrome en le reliant à la perte de dimension verticale d’occlusion, associée déjà à un certain nombre de troubles, dont la plupart n’intéresse pas directement les articulations temporo-mandibulaires.
Pour comprendre cette pathologie, nous avons voulu en donner une définition claire :
La dysfonction crânio-mandibulaire se définit comme une atteinte mécanique des A.T.M., d’étiologie multifactorielle, pouvant se manifester localement aux A.T.M. ou à distance de celles-ci. (J.M. L.andouzy)
Si la définition ne simplifie pas vraiment cette pathologie, elle permet de mieux comprendre la multiplicité des étiologies et la diversité des douleurs, qu’elle peut engendrer.
Pour suivre la pensée de Sir William Hossler :
«Le diagnostic doit précéder le traitement, ce qui impose, dans un premier temps d’avoir établi le diagnostic, et l’on ne peut diagnostiquer que ce que l’on connaît».
Nous allons commencer par exposer la physiologie normale, afin de saisir plus facilement la pathologie.
L’étude dynamique de la mandibule doit nous permettre de constater, que l’ouverture et la fermeture de la bouche s’effectuent selon un trajet rectiligne dans le plan frontal. Toute déviation indique un début de dysfonction.
Au cours du mouvement de propulsion, qui doit s’effectuer sur un guide incisif fonctionnel, la même rectitude de déplacement doit être constatée.
Lors des mouvements de diduction, sur des guides canins fonctionnels, les déplacements latéraux, par rapport au repère de la ligne interincisive, devront être semblables dans leur forme et leur amplitude.
III. la mandibule et les A.T.M.
Les articulations temporo-mandibulaires sont des articulations siamoises, dont les mouvements sont symétriques et compensatoires. La mandibule occupe une place importante au sein de la face et sa physiologie est complexe. C’est le seul os mobile du crâne et de la face. Les fonctions, auxquelles elle participe, sont multiples et indispensable à la vie. Il faut considérer :
– qu’elle est: suspendue au crâne par les muscles manducateurs (muscles temporaux et masséters),
– qu’elle est stabilisée lorsque les dents, qu’elle supporte, s’engrènent avec les dents maxillaires, en intercuspidie (donc tributaire de l’occlusion dentaire),
– qu’elle est reliée postérieurement à l’occipital et au rachis cervical,
– qu’elle contient la langue
– qu’elle est, à la fois, l’attache supérieure de l’os hyoïde et de l’ensemble du tractus aéro-digestif.
Elle participe activement aux différentes fonctions de déglutition, mastication, phonation, respiration. Cette diversité de fonctions implique que sa mobilité n’est pas seulement guidée par les muscles manducateurs, mais par la synergie de nombreux muscles qui participent également à d’autres actions volontaires ou réflexes.
Par conséquent, l’équilibre mandibulaire est soumis à un équilibre occlusal et à un équilibre musculaire.
Les articulations temporo-mandibulaires sont aussi complexes, car elles comportent un disque ou ménisque qui accompagne le condyle dans ses déplacements. Le couple condyle – disque accomplit plusieurs formes de mouvements : d’abord une rotation, puis une translation vers l’avant, lorsque les articulations fonctionnent symétriquement, et translation antérieure pour l’une et rétrusion pour l’autre dans les mouvements de diduction.
IV. biomécanique normale
Il est indispensable, pour aborder la dysfonction crânio-mandibulaire, de bien connaître la biomécanique normale des A.T.M.
Lorsque les articulations temporo-mandibulaires ont une biomécanique normale, nous constatons :
En intercuspidie, les condyles occupent une position centrée et symétrique dans les fosses mandibulaires.
En dynamique, il existe une symétrie «parfaite» des déplacements des condyles et des disques dans les mouvements d’ouverture, de fermeture et de propulsion. Et une symétrie des mouvements compensatoires d’une A.T.M. par rapport à l’autre, lors des mouvements de diduction.
V. biomécanique perturbée
La biomécanique perturbée s’exprime par l’asymétrie. En effet, chaque perturbation de position ou de mouvement d’une A.T.M. entraînera, systématiquement, une position compensatoire de l’autre, rompant ainsi la symétrie, pour installer la perturbation mécanique.
Cette perturbation mécanique s’exprime :
en statique, lors de l’intercuspidie, les condyles n’occupent plus la même position centrée dans les fosses mandibulaires
En dynamique, les déplacements en ouverture, fermeture et propulsion seront différents. Et en diduction, nous constaterons aussi une asymétrie de la forme et de l’amplitude des déplacements.
VI. le disque
Cet élément anatomique a occupé une place prépondérante dans les différentes études des pathologies des A.T.M. Pourtant, il faut constater que le disque n’est jamais vraiment responsable de la pathologie articulaire. Il en est l’expression, la matérialisation, le témoin, mais il ne peut en être l’étiologie à lui seul.
Rejoignant la conception de Jean Delaire : «Le disque est une structure qui évolue, et son examen, à un moment donné, est le reflet du fonctionnement passé et actuel des articulations temporo-mandibulaires». Ce qui revient à dire que dans la dysfonction crânio-mandibulaire, le disque est la victime d’une dysharmonie de la mobilité mandibulaire, dont les étiologies sont à déterminer.
La luxation discale ne doit donc pas être considérée comme l’étiologie de la douleur ou de la pathologie exprimée. Logiquement, elle n’intervient qu’après un temps plus ou moins long de dysfonction, par la rupture des attaches postérieures et condyliennes du disque qui perd sa coaptation naturelle avec le condyle.
VII. mécanisme de la perturbation
Il est classique de considérer que les dysfonctions crânio-mandibulaires peuvent dépendre de pathologies ascendantes et descendantes. Ascendantes, lorsqu’on considère que le trouble postural, situé sous la mandibule, est responsable de la pathologie, et descendantes, lorsqu’on considère que l’étiologie de la pathologie est situé au niveau de la mandibule et donc, en général, occlusal, et nous ajouterons lingual.
Considérer ascendantes et descendantes est facile, mais encore faut-il pouvoir en faire un diagnostic différentiel. La méthode que nous utilisons, nous a confronté à ce que nous appelons des pathologies mixtes. Il faudra, après le traitement d’une pathologie ascendante ou descendante, s’assurer que tout est rentré dans l’ordre et qu’une ascendante ne cache pas une descendante (ascendante mixte), ou inversement, qu’une descendante ne cache pas ascendante (descendante mixte).
Ceci peut paraître compliqué, mais lorsque les éléments sont bien connus, il devient facile d’effectuer ces diagnostics différentiels.
La perturbation mécanique va se manifester par l’asymétrie de la mobilité des articulations : une articulation hypomobile et une articulation hypermobile.
L’articulation hypomobile se trouve du côté de la latéromandibulie à l’ouverture et l’articulation hypermobile de l’autre côté.
Du côté hypomobile, nous constatons que le condyle, lors du mouvement d’ouverture, effectue une course antérieure plus réduite que la normale. Du côté hypermobile, nous constatons que le condyle effectue une course plus grande, voir anormalement longue, qui, quelquefois, dépasse le condyle du temporal.
C’est de ce côté, que la luxation discale peut se produire, car la répétition constante de cette excursion articulaire entraîne des distensions ligamentaires et des spasmes musculaires :
– étirement de la zone bilaminaire, qui assure la fixation postérieure du disque,
– contracture permanente du ptérygoïdien latéral, faisceau supérieur, car la position, plus antérieure de l’ensemble condyle – disque, est maintenue lorsque les dents sont en intercuspidie.
Progressivement, le disque va conserver sa position antérieure, puis se désolidariser de son condyle, pour parvenir à la luxation et au claquement de début d’ouverture.
VIII. la luxation discale
Comme l’ont si bien décrit Farrar et Dawson, il existe des degrés de luxation avant la luxation complète, et lorsque le claquement disparaît c’est que le disque a quitté l’environnement articulaire.
Si le traitement a permis la disparition du claquement articulaire, il faudra, cependant, vérifier si le disque est, à nouveau, en bonne coaptation avec son condyle, ou s’il est définitivement luxé.
Le claquement articulaire est le signe clinique, qui permet de déterminer la position antérieure du disque. Le claquement correspond au moment où le condyle, lors du mouvement d’ouverture, passe sous le bourrelet postérieur du disque et vient retrouver sa position physiologique dans la partie concave du disque. Le claquement de fermeture se produit, normalement, au même moment et correspond au passage du condyle sous le bourrelet postérieur du disque, maintenu trop en avant par le spasme du ptérygoïdien latéral.
Cette évolution de la dysfonction crânio-mandibulaire s’effectue du côté de l’hypermobilité.
Du côté hypomobile, le même phénomène ne peut se produire. En effet, de ce côté la position du condyle, en intercuspidie, est plus postérieure. Sa course antérieure dans le mouvement d’ouverture est moins longue, il n’y aura pas d’étirement de la zone bilaminaire, pas de tensions sur la coaptation disque – condyle. Dans ce cas, les conditions, pour obtenir la dissociation entre disque et condyle, ne sont pas remplies. Par contre nous pouvons avoir, de ce côté, l’apparition d’une fibrose articulaire, résultat de son manque de mobilité en rapport avec les spasmes des muscles temporal et masséter qui doivent assurer l’intercuspidie de ce côté, alors que le contact dento-dentaire a été déjà établi de l’autre côté. L’hypomobilité se situant normalement du côté en sous occlusion et l’hypermobilité du côté de la sur occlusion.
La conception thérapeutique sera de rétablir une symétrie de mouvement entre les deux articulations.
Pour cela le traitement doit s’effectuer sur l’articulation hypomobile, pour réduire l’hypermobilité compensatoire de l’A.T.M. opposée. Car il est impossible de traiter une hypermobilité qui n’est que la compensation de l’hypomobilité.
La luxation discale n’est que l’aboutissement de cette perturbation mécanique. L’évolution se fait de la pathologie musculaire, qui est la conséquence d’un trouble occlusal qui a installé le réflexe d’évitement. Il permet à la mandibule de maintenir une mobilité réflexe et automatique, en présence d’une perturbation mécanique. Le point de départ de la luxation discale est une dyskinésie entérinée par des spasmes musculaires compensatoires. Les spasmes musculaires sont proportionnels à la gravité de la perturbation.
Il existe une autre évolution, confirmée par les examens réalisés en I.R.M. : on a constaté que le disque, comprimé contre l’éminence temporale peut développer des synéchies, qui vont le rendre adhérent au temporal. Dans ce cas, le claquement se produira toujours au même degré d’ouverture et de fermeture. Le disque, fixé, ne pourra pas gagner une position plus antérieure. C’est certainement l’explication de l’ouverture en baïonnette. Dans le premier temps de l’ouverture, la latéromandibulie contro latérale s’effectue au moment où le condyle passe sous le bourrelet postérieur, retrouve ensuite la coaptation discale puis, alors que l’ouverture se poursuit, le condyle passe sous le petit bourrelet antérieur. Lorsque le condyle a dépassé les obstacles à son trajet, la mandibule peut terminer sa course de façon rectiligne.
Ces constatations nous amènent à proposer une nouvelle nomenclature des luxations réductibles, tenant compte de la présence ou non d’un disque collé. On parlera alors de luxation discale réductible à disque mobile ou de luxation discale réductible à disque collé.
IX. conclusion
Après ce premier abord clinique, qui développe une conception mécaniste des dysfonctions temporo-mandibulaires, il nous semble important de souligner que le succès d’un traitement passera, avant tout, par une étude étiologique des éléments qui ont contribué à l’installation de la pathologie. C’est pourquoi, nous vous proposerons une étude plus détaillée des éléments permettant d’aboutir à un diagnostic étiologique précis et par là même, permettre la mise en place d’une thérapeutique adaptée.
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