Après les médecins, ce sont les chirurgiens dentistes qui évoquent la perspective d’une pénurie, qu’ils attribuent à plusieurs raisons. La Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) cite pour la Saône-et-Loire le chiffre de 1 899 patients par praticien alors que la moyenne nationale est d’un dentiste pour 1 400 patients. Et annonce que la situation va empirer dans les années qui viennent.
Pourquoi ? « La mauvaise répartition des dentistes est directement liée aux tarifs trop bas auxquels ont été fixés les soins précoces (carie, détartrage, extraction.). Les soins remboursés par la Sécurité Sociale ne permettent pas actuellement aux praticiens d’équilibrer leurs charges. Ils n’ont été augmentés que de 2,8 % dans les seize dernières années !
Les jeunes chirurgiens dentistes sont quasiment obligés de s’installer là où ils pourront créer des conditions pérennes pour la survie de leur cabinet, autrement dit, là où ils pourront effectuer suffisamment d’actes dits en « secteur libre » (prothèses, implants etc.). Un dentiste doit pouvoir vivre en effectuant principalement des soins de base remboursables » poursuit la confédération, en réclamant d’urgence une revalorisation des tarifs de ces soins.
A Autun, le docteur Nicolas Mailhac, président du syndicat des chirurgiens dentistes de Saône-et-Loire, déplore que les gouvernements successifs n’aient pas tenu compte des alertes lancées depuis des années par les professionnels. Pour lui le chiffre départemental de 1 899 patients par praticien n’est pas particulièrement excessif car « la surpopulation de professionnels à Paris, Lyon, Toulouse ou la Côte d’Azur fait baisser la moyenne nationale. Aujourd’hui, en Saône-et-Loire, on est à peu près dans les clous, mais d’ici 2010 on va connaître nous aussi notre papy boum. A Gueugnon, Digoin. c’est déjà critique. »
La mauvaise répartition géographique des dentistes, Nicolas Mailhac l’attribue en premier à ce qu’il considère comme une absence de politique d’aménagement du territoire : « L’axe Dijon-Lyon profite des installations au détriment de nos campagnes. Les nouveaux arrivants vont sur des zones attractives au niveau de la qualité de la vie. Alors que ferment les uns après les autres les commerces et les services publics, qu’irait faire un dentiste à 40 km d’un centre de radiologie et d’un laboratoire d’analyses médicales ? De plus, nos professions connaissent un fort taux de féminisation. Ces collègues ont leur vie de femme, forment un couple puis ont des enfants, ce qui retarde leur entrée dans la vie active. Il fallait entrer ces faits de société dans l’évolution du numerus clausus. Ce n’est pas faute d’avoir alerté les pouvoirs publics. Ca prend le même chemin que le problème de la pénurie de médecins. »
Sur la question de la tarification, le dentiste autunois déclare avec amertume : « Quand on voit le mépris du gouvernement vis-à-vis de la dentisterie. Les charges pour les cabinets ont augmenté : aujourd’hui elles pèsent plus de 60 % ! Quelles seront demain les capacités d’investissement dans les nouvelles technologies pour assurer un plateau technique de qualité ? Quid de la qualité des soins dans quelques années ? Les soins représentent deux tiers de notre activité et ils sont honorés aux tarifs de 1988. Est-ce qu’un chirurgien dentiste doit vivre uniquement de soins hors nomenclature ? Et il arrive un moment où on ne peut plus compenser. Un cabinet dentaire, aujourd’hui, c’est un investissement de 200 000 €. Je ne vois pas comment on peut s’en sortir. Avec la CMU, nous sommes taxés deux fois. Notre devoir de solidarité, on l’a fait avec notre impôt sur le revenu, et on soigne la population avec des tarifs défiant toute concurrence. Ce n’est plus du bénévolat, c’est du suicide. Quant à la classification commune des actes médicaux, à laquelle nous étions tous favorables, elle a été reportée sine die par Douste-Blazy. »
L’UJCD essaie d’innover, explique à Marcigny le docteur Gérard Dimicoli, président départemental de l’Union des jeunes chirurgiens dentistes, qui se plaint lui aussi d’une situation qu’il juge inacceptable : « On fonctionne avec une nomenclature archaïque qui ne tient pas compte des progrès de la science. Les soins précoces comme les petites caries sont très sous-cotés. Les actes les plus sinistrés sont les extractions : on touche 20,90 €, c’est moins qu’un coiffeur qui fait une permanente. C’est scandaleux, insultant, alors que la société est très exigeante sur la traçabilité des produits qu’on utilise, sur l’informatisation etc.
Pour lutter contre la pénurie de dentistes dans certains pays ruraux, il va falloir imaginer des aides à l’installation, une défiscalisation, voire une délégation des tâches à des assistantes dentaires qualifiées. on y réfléchit. »
En attendant, l’UJCD profite du « plus grand congrès dentaire d’Europe » qui va s’ouvrir à Paris le 24 novembre, pour communiquer dès aujourd’hui dans les rues de la capitale : « des camions vont sillonner les rues pour attirer l’attention de tous sur ce problème de santé publique ».
Pierre Bosset, président du Conseil de l’ordre des chirurgiens dentistes le confirme : « Bien sûr qu’il existe de zones de désertification dans certains coins du département. Le Conseil de l’ordre a mis l’accent sur le sujet depuis extrêmement longtemps. A Chalon, il n’y a pas de problème pour trouver un dentiste. Mais quelles sont les mesures incitatives pour une installation dans le haut Autunois ? A Lucenay-l’Évêque, on compte un praticien pour 3 900 habitants. Nous continuons de dire que la CNAM s’est réfugiée derrière le tarif des prothèses pour ne pas revaloriser les soins de base courants. Mais que proposent-ils ? Rien ! Si les politiques ne prennent pas leurs responsabilités, on ne voit pas comment on peut s’en sortir. La solution ne peut venir que des financeurs, l’État et les assurances complémentaires. Soit ils sont capables de financer les soins à un juste coût, soit ils ne sont pas capables. »
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