Réaliser une avulsion dentaire sous anti-vitamine K inquiète le praticien et peut l’inciter à arrêter transitoirement la molécule pour limiter ou éviter la survenue d’une complication hémorragique locale. En 1995, une enquête réalisée aux États-Unis constatait que 73 % des praticiens conseillaient un arrêt des AVK en cas de chirurgie dentaire [3] . L’analyse des données de la littérature montre qu’en dépit d’un risque hémorragique théorique, celui-ci semble en fait minime et facilement jugulé par des traitements locaux et moindre que le risque thrombotique ou thromboembolique consécutif à l’arrêt des anti-thrombotiques [4] . MJ Wahl [5] a colligé 2 014 cas de chirurgie dentaire (extractions simples, extractions multiples voire avulsion dentaire totale, extractions chirurgicales, alvéolectomies…) au sein de 26 publications de séries ou de cas cliniques, chez des patients recevant des AVK au long cours. Sept cent soixante quatorze patients eurent leur geste sous AVK (INR : 2-3, aucun patient avec un INR > 4) ; chez les autres le traitement fut suspendu transitoirement. En cas de poursuite du traitement anticoagulant et ce, en dépit de nombreuses interventions complexes (extractions multiples ou avulsion dentaire totale, alvéolectomies, extractions chirurgicales), aucune complication hémorragique grave, c’est-à-dire nécessitant un traitement autre qu’une hémostase locale, ne fut constatée chez 98 % des patients. Seuls 12 patients (2 %) eurent des complications hémorragiques nécessitant des mesures générales liées dans cinq cas à un surdosage secondaire en AVK (INR > 9), favorisées par des interactions médicamenteuses (antibiotiques) dans 7 cas. À l’inverse, chez les patients pour lesquels le traitement AVK fut arrêté, des complications thrombotiques furent observées dans 1 % des cas, avec 4 décès probablement favorisés par l’arrêt des AVK. De fait la conclusion de l’auteur [5] , reprise par le groupe d’experts du consensus sur les anti-thrombotiques [6] ou des sociétés savantes américaines de stomatologie [7] , est de maintenir les AVK chez les patients dont le risque thrombotique est élevé du fait d’un risque hémorragique faible, d’une hémostase locale aisée et d’un risque thrombotique potentiel létal en cas d’arrêt intempestif des AVK. Les recommandations de l’AFFSAPS sont plus prudentes, mais vont dans le même sens.
Des protocoles locaux doivent cependant être mis en place, notamment en France, car pour beaucoup de praticiens, il existe une tendance à minimiser le risque thrombotique par rapport au risque hémorragique et de fait à réduire les posologies d’AVK, voire à l’arrêter transitoirement [8] .
Devani [9] rapporta une étude prospective de 32 patients chez lesquels la warfarine fut arrêtée deux à trois jours avant le geste ou au contraire continuée à la même posologie. Dans le premier groupe, l’INR moyen était le jour de l’intervention de 1,6 et dans le second de 2,7. Dans les deux groupes, aucun événement hémorragique ne fut constaté et l’hémostase locale fut toujours assurée par des hémostatiques locaux. Cependant pour beaucoup d’auteurs, il est inutile de modifier la posologie d’AVK si l’INR est inférieur à 4 avant un geste de chirurgie dentaire [7] [10] [11] . Giglio propose l’attitude suivante
extraction dentaire simple sans précaution autre que locale en cas d’INR inférieur à 4 ;
en cas de situations où un risque hémorragique modéré est prévisible, réduire la posologie de l’AVK en fonction du rapport risque-bénéfice ;
adapter la posologie pour avoir un INR inférieur à 3 en cas de risque de saignement ;
retarder le geste chirurgical si l’INR est supérieur à 5 [10] .
Un des moyens de limiter le risque hémorragique sous AVK est le recours aux hémostatiques locaux. Plusieurs produits sont disponibles : colles biologiques à base de fibrine, de fibrinogène (Beriplast®, Tissucol®) ou de collagène (Pangen®), colle chirurgicale à base de cyanoacrylate, alginate de calcium (Coalgan®, réservé à l’usage hospitalier), compresses hémostatiques résorbables (Surgicel®). Certains préconisent une hémostase locale par suture associée ou non à des gazes hémostatiques résorbables type surgicel® ou des colles à base de fibrine, d’autres proposent l’utilisation locale d’un anti-fibrinolytique l’acide tranexamique (Exacyl®, Spotof®), seul ou en association à ces gestes locaux [12] [13] [14] [15] [16] [17] . L’équipe lyonnaise [19] a récemment publié son expérience personnelle à propos de 98 patients ayant subi une ou plusieurs extractions dentaires sous AVK (INR avant la procédure toujours inférieur à 2,8), avec des résultats tout à fait satisfaisants : seulement 3 saignements locaux ayant nécessité une révision alvéolaire avec application d’acide tranexamique dans deux cas et de colle biologique dans un cas.
De fait, il paraît licite de proposer des extractions dentaires chez des patients sous AVK, sans arrêter l’anticoagulant à la condition d’avoir un protocole standardisé
vérifier l’INR avant le geste et reporter ce dernier si celui-ci est supérieur à 2,5, 2,8 ou 3 pour certains auteurs [10] [18] ;
extraction(s) dentaire (s) avec suture sur gaze hémostatique ;
recours éventuel aux anti-fibrinolytiques, en bains de bouche (500 mg d’acide tranexamique pendant deux minutes, quatre fois par jour dans les jours suivant l’extraction si suintements hémorragiques persistants ;
prévention des complications post-procédure immédiate en laissant les patients à jeun pendant 2 heures, puis en autorisant des boissons froides et une alimentation légère ;
contre-indiquer en post-opératoire les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou les salicylés à visée antalgique ;
se méfier des interactions médicamenteuses et notamment des antibiotiques susceptibles d’augmenter l’INR ;
hospitaliser en cas de complications hémorragiques rebelles pour discuter après ou avant révision alvéolaire, l’administration éventuelle de vitamine K, voire de complexes prothrombiniques.
La nécessité d’une extraction dentaire chez un patient sous AVK inquiète toujours le praticien ou le chirurgien. Une collaboration étroite entre le dentiste, le stomatologiste et le médecin clinicien doit être établie afin de préciser d’une part si la poursuite du traitement anti-thrombotique est réellement nécessaire et d’autre part si le niveau d’anticoagulation en cas de traitement par anti-vitamine K est adapté au risque thrombotique. Une bonne technique chirurgicale et des soins locaux anti-hémorragiques adaptés sont essentiels en chirurgie dentaire a fortiori chez des patients sous antiagrégants plaquettaires ou anti-vitamine K. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, les extractions dentaires devraient être faites sans arrêter les AVK chez des patients recevant ce type de traitement. Le risque potentiel justifie probablement le recours à des centres ou à des praticiens experts.
Références
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