Le lichen plan cutané (lichen ruber planus), habituellement spectaculaire et prurigineux, a fait l’objet de nombreuses publications dès le siècle dernier, dont celle, déterminante, de Wilson en 1869 ; il affecte environ 1 % de la population générale. L’étiopathogénie n’a pas encore dévoilé ses mécanismes intimes : aux anciennes théories (stress, fatigue, choc psychologique) s’ajoutent ou s’opposent les notions modernes de réaction immunologique de l’interface dermoépidermique déclenchée par divers facteurs ; plaident en ce sens des réactions lichénoïdes médicamenteuses (sels d’or, antipaludéens, bêtabloquants, quinidine, etc.), toxiques (révélateurs photographiques couleurs), associées aux greffes allogéniques de moelle (graft-versus-host reaction) même si elles diffèrent plus ou moins du lichen plan. Le lichen plan, typique ou non, est probablement également associé à des désordres gastro-intestinaux à composantes immunitaires, comme la cirrhose biliaire primitive, l’hépatite chronique active ou même la colite ulcéreuse.
La lésion cutanée élémentaire est une papule de quelques millimètres, polygonale plutôt qu’arrondie, rose-rougeâtre ou violine, brillante à jour frisant, parsemée des stries blanches de Wickham. Les lésions restent isolées ou se groupent et se reproduisent aisément sur le site d’un microtraumatisme (réaction isomorphe de Köbner). L’éruption, capricieuse, s’atténue spontanément après quelques semaines, quelques mois, ou quelques années. En principe, le lichen plan envahit la face de flexion des poignets, la région lombaire, le fourreau de la verge, mais il peut diffuser. L’atteinte muqueuse est hautement pathognomonique et intéresse surtout la cavité buccale. Le lichen plan buccal est présent chez 40 % environ des patients affectés d’un lichen cutané ; un lichen plan buccal sans lichen cutané est plus rare. Il prédomine chroniquement à l’âge moyen ou avancé (30 à 70 ans) et affecte les deux sexes, avec une légère prédominance chez la femme (60 à 65 % des cas) ; il est exceptionnel chez l’enfant. L’extension à la conjonctive, à la muqueuse nasale, au pharynx, au larynx, au tube digestif, à la vessie, à la vulve et au gland du pénis, reste exceptionnelle. Les hypothèses étiologiques restent nombreuses : maladies auto-immunes cutanées ou systémiques, déficits immuns, troubles métaboliques, thérapeutiques médicamenteuses, infections, troubles psychologiques, diabète, etc ; le rôle de restaurations dentaires comme l’amalgame d’argent a aussi été évoqué mais est difficile à prouver.
Cliniquement, le lichen plan buccal est classiquement divisé en une forme réticulaire, une forme papuleuse (observée au stade initial mais souvent transitoire), une forme en plaque leucoplasiforme (forme assez constante, parfois observée dès le stade initial), une forme érosive (forme persistante mais à signes aigus de courte durée), une forme atrophique (forme fluctuante, avec rémissions et exacerbations) et une forme bulleuse. Il se manifestera donc, selon les circonstances, comme un réseau leucokératosique en « feuilles de fougère » des muqueuses jugales, des nappes blanchâtres des muqueuses jugales et linguales, des stries des lèvres ou de la langue ou des érosions douloureuses. Les lésions érosives des gencives sont aussi connues sous le nom de « gingivite desquamative ». De multiples variantes aux noms divers ont parfois été individualisées, qui méritent seulement d’être citées : lichen plan érythrodermique (chrysothérapie) ; lichens aigu, hypertrophique, verruqueux, atrophique, folliculaire, zoniforme, etc.
L’apparition de réactions lichénoïdes avec différentes substances médicamenteuses est un fait connu : sels d’or, pénicillamine, arsenic, bismuth, méthyldopa, bêtabloquants (propranolol, practolol, labétolol, oxyprénolol), captopril, streptomycine, tétracycline, déméclocycline, lévamisole, chlorpropamide, acide para-aminosalicylique, anti-inflammatoires non stéroïdiens, carbamazépine, antipaludéens de synthèse (mépacrine, chloroquine), phénothiazines, amiphénazole, tolbutamide, thiazides, spironolactone, furosémide, dapsone, etc. Ces lésions sont cliniquement et histologiquement semblables à celles du lichen plan buccal et ont tendance à disparaître quand la médication est supprimée. Des troubles psychologiques sont régulièrement trouvés chez les patients affectés d’un lichen plan buccal, bien que ces patients n’aient pas de sensation subjective de désordre et qu’ils ne souhaitent pas de traitement psychiatrique.
Au plan histopathologique, le lichen plan présente une physionomie pathognomonique : atteinte de l’épiderme (épaississement du corps muqueux, de l’assise granuleuse, de la couche cornée : hyperortho-et hyperparakératose, acanthose) ; altération de la jonction dermoépidermique (profil en « arcades »), nécrose liquéfiante de l’assise germinative, vascularite non spécifique et donc désorganisation de la membrane basale colorée par l’acide périodique-Schiff [PAS]) ; infiltrat massif lymphomonocytaire du derme superficiel (couche superficielle de la lamina propria), avec présence de mélanophages et de corps apoptotiques. Les cellules de Langerhans, les lymphocytes T et les monocytes présents dans l’infiltrat inflammatoire traduisent la réponse immunitaire à médiation cellulaire. Les techniques d’immunofluorescence directe démontrent des dépôts sous-épidermiques d’immunoglobulines IgG, IgM, IgA, de complément C3, de fibrinogène ; ces dépôts sont retrouvés dans le lichen plan buccal. Il a été montré que le lichen plan buccal, le lichen cutané et les réactions lichénoïdes, qui possèdent virtuellement les mêmes caractéristiques histopathologiques, sont différents par leur association avec l’antigène HLA-DR3 ; la fréquence élevée de cet antigène dans le lichen plan buccal a fait suggérer une composante auto-immune dans la pathogenèse de la lésion, ce qui reste controversé. Les lésions cutanées et muqueuses seraient plutôt une réponse immunologique à médiation cellulaire à une stimulation antigénique dans la peau ou la muqueuse. Par ailleurs, à l’interface épithélium-tissu conjonctif, le recrutement et l’infiltration de cellules lymphoïdes T par les cellules endothéliales du plexus vasculaire sous-épithélial doivent faire appel à différentes familles de molécules (sélectines, intégrines, superfamille d’immunoglobulines).
Dans la dysplasie lichénoïde , entité différente du lichen plan, la liquéfaction cellulaire basale est habituellement absente. Le fait que la réactivité épidermique à l’involucrine soit marquée dans les cas de lichen plan, mais pas dans les cas de lésions lichénoïdes dysplasiques ou atypiques, supporte aussi l’hypothèse selon laquelle lichen plan et dysplasie lichénoïde sont des entités biologiquement distinctes. Le diagnostic différentiel du lichen plan buccal est celui des lésions blanches des muqueuses.
Du point de vue thérapeutique, les formes cutanées mineures bénéficient de l’application d’antiprurigineux, de crèmes corticostéroïdes et de la prise d’antihistaminiques et de tranquillisants. Repos, vie calme, abstention de café sont conseillés. Les formes cutanées sévères requièrent une corticothérapie générale, la photothérapie, la PUVA-thérapie (psoralènes et ultraviolets A) et la REPUVA-thérapie (rétinoïdes, psoralènes et UV-A).
À souligner que les lésions buccales, surtout les lésions érosives, s’avèrent particulièrement rebelles aux traitements et sont grevées d’un risque faible (inférieur à 1 %) de dégénérescence carcinomateuse à long terme. Une étude prospective a conclu que le lichen plan buccal pouvait être considéré selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une lésion précancéreuse. Ce potentiel, réduit mais cliniquement important, semble bien réel. Les corticoïdes locaux (acétonide de triamcinolone, valérate de bétaméthasone, etc.) dans des bases adéquates sont décevants. Tout comme les antimycosiques, les corticoïdes locaux n’ont pas d’effet thérapeutique à long terme sur les différentes formes cliniques ; ils n’ont pas non plus d’effets persistants sur les symptômes liés au lichen buccal. Les formes érosives répondent parfois à des injections intralésionnelles de corticoïdes (hydrocortisone, phosphate sodique de dexaméthasone, acétonide de triamcinolone ou méthylprednisolone). L’addition par voie orale de lévamisole à la prednisolone a donné des résultats spectaculaires sur le lichen érosif. L’acitrétine ou l’isotrétinoïne (à la dose orale de 0,5 à 1 mg/kg/j, en fonction de la tolérance) donnent des résultats généralement positifs mais s’avèrent difficiles à tolérer. La vitamine A acide en applications topiques n’a guère d’efficacité. La ciclosporine en bain de bouche s’est révélée efficace tant sur la lésion que sur la durée des périodes de rémission. La valeur d’autres thérapeutiques reste à établir : psychothérapie, chirurgie, cryochirurgie, voire chirurgie au laser.
Source EMC : Etienne Piette: MD, LSD, PhD, ancien professeur associé
Service de chirurgie orale et maxillofaciale, université de Hong Kong ; service de chirurgie maxillofaciale et reconstructrice, clinique Sainte-Elisabeth, Namur Belgique
Hervé Reychler: MD, LTH, DMD, professeur ordinaire, chef de service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale
Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain, Bruxelles Belgique
22-045-K-10 (1997)