Cette querelle n’a plus lieu d’être depuis l’existence de critère précis de diagnostic des maladies parodontales.
La correlation entre diabète et parodontopathies est établie depuis le début des années 1990. Selon Nelson et Coll, 1990 ; Seppälä et coll., 1993 : Le diabétique mal équilibré présente plus de pertes dentaires.
Soskolne a réalisé une étude minutieuse (Soskolne WA, 1998 ; grade A de l’ANDEM) de la littérature dont nous retiendrons les grandes lignes :
· Prévalence de parodontites sévères :
– 59,6% chez les diabétiques
– 36,3% chez les non-diabétiques.
· La différence de Prévalence décroît avec l’âge :
– 3,7 à 4,8 fois plus sévère chez les diabétiques de 15 à 24 ans que chez les non-diabétiques du même âge.
– 2,0 à 2,38 fois plus sévère chez les diabétiques de 25 à 34 ans que chez les non-diabétiques du même âge.
– 1,3 à 1,68 fois plus sévère chez les diabétiques de 35 à 44 ans que chez les non-diabétiques du même âge.
– 0,9 à 1,18 fois plus sévère chez les diabétiques de plus de 45 ans que chez les non-diabétiques du même âge.
Ceci est valable pour les diabètes de type I ou II, des études l’ont démontré.
Le diabète est un facteur aggravant de la maladie parodontale. Ainsi, on note une prédisposition plus grande à l’infection. En effet, l’hyperglycémie diminue le PH de la bouche et augmente le taux de glucose dans la salive, deux conditions idéales pour multiplier les bactéries.
Autre problème: la modification du métabolisme du collagène, composant essentiel des os et des tissus de soutien, entraîne une plus grande perte de ces éléments. Dernier point: les diabétiques mettent plus de temps à cicatriser.
De nombreuses études sur les diabétiques (type 1, insulino-dépendants) ont montré que les gingivites étaient plus sévères, et cela d’autant plus que le diabète était mal équilibré. Une étude faite aux États-Unis montre des parodontites sévères chez 59,6 % des diabétiques contre 36 % de sujets sains. Et l’on pense qu’il en est de même chez les diabétiques de type 2 non insulino-dépendants.
Diabète de type I (Insulino dépendant)
Le diabète de type I, autrefois appelé ‘insulino-dépendant’, est une maladie auto-immune qui aboutit à la destruction par les lymphocytes des cellules b des îlots de Langerhans du pancréas. Il n’y a plus de production d’insuline endogène d’où la nécessité d’un apport externe.
-Novaes et Coll, 1991 : Accumulation de plaque statistiquement plus élevée.
-Indice gingival plus élevé chez les diabétiques que chez les témoins.
-Pertes osseuses significativement plus élevées chez les malades au niveau des dents antérieures supérieures et inférieures.
-Aldridge et coll., 1995 : Le contrôle de la maladie parodontale participe directement au contrôle métabolique en permettant de réduire la quantité d’insuline nécessaire.
Diabète de type II
C’est le ‘diabète de l’âge mûr’, découvert volontiers autour de la cinquantaine et sa prévalence augmente avec l’âge. Son début est très lent et même insidieux. Il peut s’extérioriser sous l’influence de facteurs d’environnement favorisants : sédentarité, surcharge pondérale de caractère androïde. Il peut aussi être découvert à l’occasion de la prise en compte d’antécédents familiaux (sa composante génétique est plus forte que dans le diabète de type 1) ou d’une pathologie ‘intriquée (principalement l’hypertension artérielle). Le diabète de type 2 est beaucoup plus fréquent puisqu’il représente plus de 90% des cas de diabète. Il peut enfin se révéler d’emblée (20% des cas) par une complication dégénérative (microangiopathique et/ou macrovasculaire) dont on sait qu’elle signe une hyperglycémie méconnue pendant au moins une dizaine d’années. Ces complications au niveau Odontologique et Parodontologique seront les conséquences de la microangiopathies.
Emrich et coll., 1991 : Le diabète de type II multiplie par trois le risque d’apparition d’une parodontite qui devrait de ce fait être considérée comme une complication potentielle du diabète. Des études plus approfondies suggèrent que l’âge (autre facteur étiologique des maladies parodontales) masque l’influence du diabète.
Le Chirurgien dentiste a également un rôle prophylactique pour éviter les complications d’ordre général.
La maladie parodontale est responsable de complications comme toutes les infections chez le diabétique. En particulier, on retiendra en ce qui concerne la nécessité de prophylaxie en parodontologique, le risque d’accouchement prématuré et les maladie cardio vasculaire.
Le risque d’accouchement prématuré n’est pas spécifique au diabète mais il est aggravé par le fait que les grossesses chez les femmes diabétiques sont déjà des grossesses ‘à risque’. Offencacher et al. (1996) : Les femmes enceintes ayant une parodontopathie ont 7,5 fois plus de risque de faire un accouchement prématuré. 18 % des accouchements avant terme et de poids faible sont attribuables à une maladie parodontale. Collins et al. 1994 : des expériences chez le rat confirment ces résultats. Notons qu’aucun article ne mentionne une étude ou description de maladies parodontales lors d’un diabète gestationnel.
De même l’augmentation du risque cardio-vasculaire n’est pas spécifique du patient diabétique, mais comme nous le verrons dans la discussion, sa compréhension est primordiale puisque l’un des objectifs de l’ANAES est de diminuer les complications cardio-vasculaires chez les diabétiques. De plus, son mécanisme biologique commence à être connu.
L’association diabète – parodontopathie – maladies cardiovasculaires semble avoir été suspecté depuis déjà fort longtemps : Mackenzie et Millard ont essayé de montrer, en 1963, que les parodontopathies été liées aux maladies cardiovasculaires en comparant les trois groupes suivants : Diabétique, coronarien, témoin. Ils étudiaient primitivement les conséquences du diabète sur l’état cardiovasculaire et l’état parodontal (perte d’os alvéolaire) mais n’ont trouvé aucune différence significative en raison de leur trop petit échantillon. Chez les patients non diabétiques, il a été montré que les maladies ischémiques cardiovasculaires et les parodontopathies ont une étiologie commune (Beck et coll. 1996). Ils ont aussi proposé un modèle biologique de l’association entre maladie parodontale et athérosclérose.
-Kweider et al (1993) : les malades ayant une parodontopathie ont un taux de fibrinogène plus élevé.
-Mattila (1993), Mattila et al. (1993) : la sévérité de l’infection dentaire est corrélée avec l’étendue de l’athéromatose coronaire. Les sujets avec une infection dentaire sévère ont des taux de leucocytes, fibrinogène et antigène contre le facteur Von Willbrand plus élevés.
-DeStefano et al. (1993) : les sujets ayant une parodontite ont une augmentation de 25% du risque cardiovasculaire.
-Paunio et al. (1993) : les sujets de moins de 50 ans ayant une parodontite ont 70% de chance en plus de développer une maladie cardiovasculaire que les sujets sans parodontopathie.
-Beck et al (1996) : description d’un modèle biologique expliquant le lien entre maladie parodontale et athérosclérose.
Des patients ayant une Poche > 3 mm ont 3.6 fois plus de chance d’avoir une maladie cardio-vasculaire.
S’ils présentent une lyse osseuse avancée ils ont 2 fois plus de chance d’avoir une maladie cardio-vasculaire.
Traitements et réponses aux traitements.
Les diabétique de Type I ont une réponse diminuée aux traitements parodontaux. Cependant, un diabétique bien équilibré peut être traité normalement. Une étude portant sur l’influence d’un détartrage et d’un surfaçage radiculaire unique n’a pas montré d’amélioration significative du contrôle glycémique (Aldridge, Lester, Watts 1995).
La réponse à court terme des traitements parodontaux non-chirurgicaux chez les diabétiques bien équilibrés est la même que chez les non-diabétiques (Tervonen et coll. 1991) Des améliorations similaires de la profondeur des poches, de l’attachement et de la flore microbienne sont retrouvés chez les diabétiques et les non diabétiques après un traitement parodontal.
Alors que les diabétiques bien équilibrés montre une amélioration de leur état parodontal après traitement, les diabétiques mal équilibrés montre un rapide retour à l’état précédant le traitement et ont une réponse à long terme moins favorable (Tervonen et coll. 1995).
Aux U.S.A le protocole de traitement et l’utilisation d’antibiotique fait l’objet d’un consensus rendu publique par l’AAP (American Academy of Periodontology). Dans le cadre d’une prise en charge globale du patient diabétique et de ses complications, une équipe de soins est composée d’un diabétologue, d’un cardiologue, d’un ophtalmologiste, d’une diététicienne… C’est la formation d’un réseau.
Aujourd’hui, le chirurgien-dentiste et particulièrement le parodontiste n’est pas encore systématiquement inclus dans cette équipe de soins puisque les parodontopathies ne semble pas encore être reconnues comme complications du diabète ; ce qui est pourtant le cas.
D’un point de vue purement diabétologique, les parodontopathies se comportent donc comme toutes les autres complications du diabète :
· Elles sont non-spécifiques du diabète.
· Leurs fréquences et leur gravité sont une fonction inverse de l’équilibre glycémique.
· Elles sont améliorées par l’équilibre glycémique sans qu’il y ait de retour ad intégrum possible.
Comme les autres complications, on peut présumer (non encore démontré) que l’impact d’un équilibre glycémique sur l’état de santé parodontal est double :
· Au niveau de la prévention en évitant l’apparition ou l’évolution défavorable d’une parodontopathie.
· Au niveau du traitement, en diminuant l’aggravation et en potentialisant les traitements parodontologiques chirurgicaux ou non.
La prise en charge optimale du diabète de type 2 par les professions de santé est d’actualité en France.
En 1998, elle a été l’objet de la conférence Nationale de Santé et du Rapport du Haut comité de Santé Publique. En 1999, L’ANAES a publié des recommandations pour le suivi des patients diabétiques de type 2. Les régimes d’Assurance Maladie ont retenu, pour l’année 1999-2000, dans leur programme de santé publique, la prise en charge des diabètes ; enfin une circulaire de la Direction Générale de la Santé (DGS-DH/99 264) a été consacrée à l’organisation des soins pour la prise en charge du diabète de type 2.
Pour l’ALFEDIAM est « l’Association de langue française pour l’étude du diabète et des maladies métaboliques » les recommandations sont les suivantes
« Tout patient diabétique devra être examiné par un dentiste au minimum tous les 6 mois, le détartrage doux doit être fréquemment réalisé, le dépistage de la parodontopathie et de tout foyer infectieux systématique.
Lorsque le dentiste ou le stomatologiste doit pratiquer un geste chirurgical chez un diabétique, il doit tenir compte du traitement, protocole de mise à jeun chez un diabétique insulino-dépendant, réduction éventuelle des hypoglycémiants chez un diabétique de type 2, traitement anti-infectieux systématique, surveillance de la cicatrisation en post-opératoire. Bien entendu, lorsque des interventions lourdes sont programmées, les difficultés d’alimentation impliquent d’avoir recours à une alimentation entérale par sonde ou parentérale, chez les diabétiques de type 2 l’interruption des antidiabétiques oraux et leur relais par l’insuline à titre temporaire est préférable. »Ces recommandations sont précédées d’un constat : « Les problèmes bucco-dentaires chez les diabétiques sont plus fréquents que dans la population non diabétique, ils ne sont pas suffisamment pris en considération en général. »
Pour l’HAS (Haute Autorité de Santé, ex ANAES, Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé) le texte des recommandations de Janvier 1999 est le suivant « Examen clinique de la bouche et des dents, de la sphère ORL, de la peau tous les ans. (accord professionnel)» Remarquons qu’aucun odontologiste ne fait partie du comité consulté pour la rédaction de ces recommandations ce qui explique ce retour en arrière.
L’intérêt de ces recommandations réside en la modification des critères diagnostiques : Le diabète de type II est diagnostiqué avec deux glycémies veineuses à jeûn supérieures à 1,26 g/L alors que le précédent seuil diagnostique était à deux glycémies veineuses à jeûn supérieures à 1,40 g/L.
Cette modification ne modifie pas les conclusions des enquêtes précédentes. En effet, on pourrait objecter que certains sujets considérés comme non-diabétiques lors des enquêtes sont désormais considérés comme diabétique. On remarquera cependant que de nombreuses enquêtes n’utilisaient pas cette méthode diagnostique et que les sujets dont les glycémies étaient comprises entre 1,26 g/L et 1,40 g/L font désormais partie des groupes de diabétiques correctement équilibrés ce qui n’est pas incompatibles avec les deux conclusions suivantes :
· L’état parodontal est fonction de l’équilibre glycémique.
· Les groupes de diabétiques correctement équilibrés montrent peu ou pas de différences avec les groupes de non-diabétiques. On pourrait même supposer que les études anciennes considérant l’équilibre du diabète correct avec des HbA1c aux environs de 7,5% à 8% trouvaient une différence entre diabétiques correctement équilibré et non diabétiques attribuable à une mauvaise définition de l’équilibre glycémique.
Le diabète, de type 1 et de type 2, a un impact majeur sur l’ensemble des tissus de l’organisme et particulièrement sur les tissus de la cavité buccale. Ces conséquences au niveau de la cavité buccale s’exprimeront notamment par des parodontopathies.
L’état actuel des recherches fondamentales et cliniques montre clairement que le diabète et les maladies parodontales sont étroitement liées bien que les mécanismes de la pathogénicité ne sont pas encore totalement mis en évidence. On peut cependant retenir que l’équilibre glycémique influe sur l’état parodontal et que, réciproquement, l’état parodontal influe sur l’équilibre glycémique.
Dans l’optique d’une meilleure prise en charge du diabète et de ses complications, les auteurs suggèrent que les maladies parodontales soient considérées, par les diabétologues, comme une complication du diabète. De même, le chirurgien-dentiste et particulièrement le parodontiste, se doit de prendre en charge les maladies parodontales du diabétique comme complications du diabète et non plus considérer seulement la maladie parodontale par elle-même.
On observe, de plus en plus souvent, que plus la maladie parodontale est sévère, moins on arrive à contrôler l’équilibre des paramètres du diabète. Ce qui a des répercussions sur l’état de santé des malades.
Mais à l’inverse, mieux on traite les parodontites, plus on améliore l’équilibre de la glycémie des diabétiques. Ce qui fait suggérer au Dr Philippe Georges, chirurgien-dentiste et professeur à Paris-7, “qu’il faudrait considérer les maladies parodontales comme une complication du diabète”.
Cela permettrait d’abord une prise en charge plus globale du malade, un suivi plus régulier et plus minutieux. Et surtout, une meilleure coopération entre le chirurgien-dentiste et le diabétologue pour ne pas soigner que la bouche du diabétique mais son état de santé général.