Après la retraite, la Sécurité sociale. Le gouvernement s’apprête à engager dès l’automne une autre réforme sensible, celle de l’assurance-maladie. Le principe est de redéfinir les champs d’intervention de la Sécurité sociale et des assurances complémentaires.
Deux conceptions vont s’opposer, celles des mutuelles et des assureurs privés, auxquels le gouvernement a demandé des propositions. Mercredi 4 juin, la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) a été la première à faire ses propositions. Elle demande que la Sécurité sociale se recentre sur la prise en charge des maladies graves et propose que les assureurs complémentaires prennent en charge dès le premier euro les remboursements de certaines prestations comme l’optique, le dentaire, les prothèses auditives et les petits appareillages. La FFSA prône aussi le développement de l’assurance volontaire.
Rien de tel pour embarrasser le gouvernement, qui attend les autres propositions, notamment celles de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), qui regroupe la quasi-totalité des mutuelles de santé. Forte de ses 60 % de parts de marché de la complémentaire, face aux assureurs, qui en détiennent 21 %, et les institutions de prévoyance (19 %), la Mutualité française est bien décidée à peser de tout son poids dans le débat. Elle fera connaître ses propositions lors de son congrès de Toulouse, du 12 au 14 juin, auquel elle a invité le président de la République, Jacques Chirac, et le ministre de la santé, Jean-François Mattei.
La FFSA a donc choisi de devancer sa grande rivale en rendant publiques ses réponses à M. Mattei. “Nos propositions se veulent professionnelles, pratiques et ciblées”, a affirmé Gérard de La Martinière, le nouveau président de cet organisme professionnel, rejetant d’emblée les “faux procès” faits aux assureurs privés concernant leurs vues sur l’assurance-maladie. Il n’est pas question de remettre en cause le rôle des pouvoirs publics et des régimes d’assurance-maladie. “L’Etat a un rôle déterminant à jouer en matière d’objectif de santé publique” et “la Sécurité sociale occupe et continuera d’occuper une place centrale”, affirme M. de La Martinière.
“PAYEURS AVEUGLES”
Le premier objectif est de renforcer la coopération avec les régimes obligatoires. Les assureurs demandent à être associés à toutes les décisions prises en matière d’assurance-santé pour pouvoir adapter leurs garanties. Ils plaident pour “une véritable cogestion de la santé”. Ils ne veulent plus être des “payeurs aveugles” subissant de lourds transferts de charges à chaque fois que la Sécurité sociale réduit sans concertation ses remboursements, comme ce fut le cas, en avril, avec la baisse de 65 % à 35 % du remboursement de 617 médicaments. Pour adapter leur offre, ils demandent également à connaître les produits remboursés dont ils ne connaissent aujourd’hui que le taux de remboursement. Christian Babusiaux, magistrat à la Cour des comptes, devait rendre un rapport sur ce thème à M. Mattei, jeudi 5 juin, proposant des pistes pour fournir des informations sans porter atteinte à la vie privée des assurés.
Pour renforcer la coopération, la FFSA propose la création d’un “conseil des sages” composé d’experts indépendants, non révocables, destiné à mieux valider les objectifs de santé publique et à en assurer la pérennité et d’une “agence de coordination” répartissant les interventions des régimes obligatoires et complémentaires. Sept à huit “agences régionales de santé” seraient créées afin d’adapter les politiques décidées et d’en mesurer l’efficacité.
Pour mieux gérer le risque, la FFSA propose de recentrer les régimes obligatoires sur leur cњur de métier, c’est-à-dire les affections de longue durée, qui représentent 50 % des dépenses de santé. Elle suggère de revoir le mode de rémunération des professionnels de la santé et le financement des hôpitaux. Les assureurs envisagent également de passer des contrats avec des professionnels de santé qui, au lieu d’être rémunérés à l’acte, seraient payés par “capitation”, c’est-à-dire au nombre de patients traités sur une période donnée. Cela permettrait aux praticiens de consacrer davantage de temps à la prévention, l’information et le conseil, qui ne sont pas des actes médicaux et sont actuellement peu abordés.
DÈS LE PREMIER EURO
Mais la FFSA entend surtout faire davantage appel à l’assurance volontaire. Constatant que l’organisation a peu changé depuis la création de la Sécurité sociale, elle demande une adaptation à l’évolution actuelle. On assiste au passage “d’un important besoin collectif et assez uniforme à des situations et des choix beaucoup plus individualisés”, selon elle. Dans cette nouvelle donne, l’assureur complémentaire interviendrait en complément des régimes obligatoires pour ce qui relève de la solidarité nationale et au premier euro pour ce qui ne relève pas d’elle. Les assureurs se disent ainsi prêts à prendre en charge dès le premier euro les remboursements de certaines prestations (optique, dentaire, prothèses auditives, petits appareillages), indépendamment de la Sécurité sociale. Celles-ci sont déjà faiblement remboursées. Il s’agirait d’un transfert de 2,5 milliards d’euros pour le dentaire, 200 millions pour l’optique et d’environ 500 millions pour les prothèses auditives.
Enfin, si 92 % des Français disposent d’une couverture maladie complémentaire, la FFSA estime que, sur le solde de 8 %, 4 % à 5 % n’en possèdent pas faute de moyens financiers suffisants. Elle propose la création d’une Aide personnalisée à la santé, à l’image de l’Aide personnalisée au logement (APL).
Conscient de la sensibilité du dossier, M. de La Martinière affiche une “attitude volontairement modeste”, mais ferme. “Nous serons amenés à faire évoluer cette démarche, mais les lignes directrices resteront les mêmes”, prévient-il. Les assureurs s’attendent que cette réforme prenne du temps et se fasse de manière progressive.
Dominique Gallois
le Monde 06.06.03