« L’étude montre que l’abandon de traitement est deux fois plus important dans les centres de santé
que dans les cabinets d’orthodontistes. Ça s’explique souvent parce qu’il n’y a pas de lien personnalisé entre un jeune et “son” praticien.
UN redressement dentaire sur six serait abandonné, affirme une étude de l’Assurance maladie.
Qu’en pense Dominique Truquet, orthodontiste à Saint-Omer et président régional du Syndicat des spécialistes en orthopédie dento-faciale ?
– La bouche des adolescents a-t-elle changé ? On a l’impression qu’aujourd’hui ils sont tous appareillés !
« Non, les bouches n’ont pas changé. L’encombrement et le décalage des dents ont toujours existé, mais aujourd’hui nous sommes dans une démarche de prévention majeure : on sait que le mauvais alignement des mâchoires peut entraîner des problèmes de digestion, de caries, de gencives, des maux de dos, etc. »
– Ils pensent à tout cela, les jeunes qui viennent vous consulter ?
« Non, ils disent “mes dents sont de travers”. Le motif est toujours d’abord l’esthétique. Ce n’est pas un hasard si 54 % des adolescents en traitement sont des filles. Le point de vue des orthodontistes est différent : d’abord assurer la fonction, et accessoirement l’esthétique ! »
– Un traitement sur six serait abandonné…
« Si les traitements ne sont pas terminés, c’est surtout en raison de leur longueur et des contraintes : les rendez-vous toutes les quatre, cinq semaines, les élastiques, les brossages, pas de bonbons ni de chewing-gums… Il y a aussi le problème de la méconnaissance. »
– La méconnaissance de quoi ?
« Les orthodontistes doivent se remettre en cause : peut-être n’expliquons-nous pas assez le but de chaque étape, le pourquoi des interventions. Nous devons davantage faire valoir les bénéfices du traitement. Quand on explique, qu’on réexplique parce que le message n’est pas passé la fois précédente, en général tout s’éclaire et l’adolescent se remotive bien. »
– Quand un jeune veut abandonner, que faites-vous ?
« Je pense au cas d’une jeune patiente qui ne voulait pas continuer son traitement au bout de six mois. “C’est fini, on a aligné”, me disaient les parents. Ils ne voyaient pas pourquoi il fallait fermer les trous. J’ai expliqué que les dents devaient s’appuyer les unes sur les autres, qu’il y avait un engrenage à respecter. »
– Rappelez-vous l’adolescent lorsqu’il ne se présente pas au rendez-vous ?
« Dans la demi-heure ! Et on rappelle jusqu’à ce qu’on joigne quelqu’un. Parfois, il se passe dans les familles des choses difficiles dont nous ne sommes pas au courant, nous devons en tenir compte. Par exemple, cette famille où un divorce était intervenu. Le beau-père ne voulait pas payer pour le traitement de sa belle-fille. Je les ai reçus ensemble, on a discuté, on s’est mis d’accord et le traitement a repris. Il faut qu’il y ait un vrai dialogue entre le patient et le praticien, une relation privilégiée. L’étude montre que l’abandon de traitement est deux fois plus important dans les centres de santé que dans les cabinets d’orthodontistes. Ça s’explique souvent parce que, justement, il n’y a pas ce lien personnalisé entre un jeune et “son” praticien. »
– Que se passe-t-il si on arrête le traitement ?
« Le cas s’aggrave. Si on a enlevé des prémolaires pour faire de la place par exemple, les dents voisines “versent”, etc… Bref, c’est la catastrophe ! »
– Pourquoi les orthodontistes pratiquent-ils des dépassements d’honoraires ?
« La Sécu a déterminé les tarifs de remboursement il y a trente ans et ils n’ont été revalorisés que de quelques pour cent il y a dix ans. Or nous avons des salaires à payer, des locaux, du matériel, un plateau technique, etc., et tout cela n’est plus au prix d’il y a trente ans ! Ajoutons qu’un spécialiste en orthodontie dento-faciale a fait dix ans d’études. »
– Parfois, les orthodontistes proposent des élastiques dans des nuances de couleurs inimaginables ! Est-ce que toutes ces “fantaisies” n’augmentent pas le prix du traitement ?
« Non. Que l’élastique soit bleu, rouge ou chair, c’est le même prix ! Si nous proposons cela aux jeunes, c’est pour donner un côté ludique à un traitement contraignant, pour rassurer, faire participer le patient, l’emmener avec nous. »
Propos recueillis par J. J.
Un redressement dentaire sur six est abandonné
dans la première année.
Dans 90 % des cas, c’est le patient qui décide qu’il ne veut plus de son appareil.
Trois raisons : le traitement est long (deux à trois ans), contraignant (nombreux rendez-vous, élastiques et crochets, pas de bonbons !) et il est cher.
Le prix moyen du traitement est de 455 €. La sécu en rembourse 193,5.
Il y a moins d’abandons quand la famille dispose d’une bonne mutuelle.