Article du Monde sur l’affaire des “listes d’attentes CMU”

LE MONDE | 25.01.05 | 14h06 “Un syndicat dentaire menace de restreindre les soins aux démunis”
Il souhaite dénoncer les tarifs applicables aux bénéficiaires de la couverture-maladie universelle.
Pour interpeller les pouvoirs publics, rien ne vaut une bonne polémique, surtout si elle suscite l’opprobre général. La Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) vient de recourir avec succès à cette ficelle en menaçant de ne pas soigner les patients défavorisés.

Le 18 décembre 2004, cette organisation professionnelle, majoritaire chez les dentistes (15 000 adhérents revendiqués), a adopté une motion à propos de la couverture- maladie universelle (CMU) – un dispositif lancé en 2000 qui permet d’offrir une complémentaire santé à environ 4,3 millions de personnes démunies. Mécontents des “tarifs inadaptés et jamais révisés” qu’ils doivent respecter dans le cadre de ce système, les praticiens affiliés à la CNSD ont pris une décision radicale : mettre sur”liste d’attente” les bénéficiaires de la CMU et reporter “la réalisation des actes prothétiques et orthodontiques”. L’organisation syndicale a même invité ses adhérents à restreindre, “dans un deuxième temps”, leurs interventions “aux seules urgences”, voire à “refuser tout soin” dès lors qu’il s’agissait d’un assuré émargeant à la CMU.

“MÉDICALEMENT INTOLÉRABLE”

Jean-Claude Michel, président de la CNSD, a voulu lancer ce “pavé dans la mare” parce que le gouvernement restait sourd aux revendications de ses troupes. Au-delà des tarifs – trop modiques à leurs yeux – qu’ils doivent appliquer aux bénéficiaires de la CMU, les dentistes déplorent que les soins conservateurs et de prévention n’aient pas été réévalués depuis plusieurs années. Pour M. Michel, une telle situation décourage les jeunes qui débutent dans la profession et pousse des confrères à déserter les zones défavorisées.

Révélée par Le Parisien dans son édition du lundi 24 janvier, la motion du CNSD a suscité la réprobation de Philippe Douste-Blazy et de Xavier Bertrand. Le ministre de la santé et le secrétaire d’Etat à l’assurance-maladie ont demandé au syndicat de suspendre son appel. De son côté, le directeur de l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (Uncam), Frédéric Van Roekeghem, a regretté que la CNSD “prenne en otage les plus démunis”. Enfin, l’Union des jeunes chirurgiens-dentistes (UJCD) a estimé que la démarche de M. Michel était “médicalement intolérable”, tandis que l’ordre national des chirurgiens-dentistes le sommait de respecter la loi, tout en disant comprendre le geste de “mauvaise humeur (…) de la base”.

Grâce à son initiative controversée, la CNSD a obtenu ce qu’elle recherchait : un rendez-vous avec le directeur de l’Uncam. La rencontre devrait avoir lieu “la semaine prochaine”, d’après M. Michel, et permettra au syndicat d’exposer ses doléances. En attendant, celui-ci a décidé de ne pas mettre à exécution sa menace.

Mais le fait de refuser des soins à des bénéficiaires de la CMU a déjà été constaté, par le passé. En novembre 2002, Médecins du monde avait réalisé une enquête téléphonique anonyme auprès de 230 dentistes : près de la moitié d’entre eux indiquait ne pas vouloir soigner ce type de clientèle. Dans son édition de décembre 2004, la revue Que choisir a également réalisé un sondage auprès de 287 spécialistes (gynécologues, cardiologues, ORL) : le fait de relever de la CMU constituait un problème, pour un tiers à 40 % des professionnels de santé installés à Paris et dans sa banlieue.

source le Monde 26.01.05