Les auteurs évaluent la nécessité d’une antibiothérapie post-opératoire
prophylactique dans les avulsions des dents de sagesse.
Matériel et méthodes
Il s’agit d’une étude prospective s’étendant sur plus de 30 mois, regroupant un total de 528 dents de sagesse incluses qui ont été enlevées chez 288 patients. Tous les patients ont été adressés dans le service par un dentiste ou un médecin généraliste. Avant l’avulsion, aucun des patients ne souffrait de douleurs, d’inflammation ou de tuméfaction.
Trois groupes ont ainsi été constitués. Le premier groupe comprenait les patients qui ont reçu de l’amoxicilline-acide clavulanique par voie orale durant les cinq jours qui ont suivi l’intervention. Le deuxième groupe comprenait les patients qui ont reçu de la clindamycine.
Le troisième groupe comprenait les patients qui n’ont pas reçu d’antibiotiques. Les signes cliniques ainsi que le bilan radiologique étaient enregistrés pour chaque patient et la répartition entre les groupes était faite
par tirage au sort. La technique chirurgicale utilisée était la même pour tous les
patients et la période de suivi était de quatre semaines. Les paramètres évalués étaient les suivants : douleur, modification de l’amplitude de l’ouverture buccale, infection, apparition d’une alvéolite sèche et effets secondaires post-opératoire liés au traitement.
Résultats
Nous n’avons pas pu trouver de différence significative entre les trois groupes en ce qui concernait les paramètres évalués. Dans 69,9 % des cas de patients souffrant d’alvéolite sèche les dents étaient initialement en désinclusion, et ce
avec une différence significative.
Conclusions
Les résultats de notre étude montrent que la prescription d’une antibiothérapie prophylactique après avulsions des dents de sagesse n’améliore ni la cicatrisation, ni les douleurs, ni l’ouverture buccale et ne peut prévenir le risque de
survenue de complications inflammatoires après la chirurgie. Cette antibiothérapie n’est donc pas recommandée de façon routinière.
Discussion
Les auteurs s’engagent dans une noble cause : celle de déterminer s’il y a un bénéfice à administrer des antibiotiques de façon routinière lors de l’avulsion des dents de sagesse. Les recommandations dans les prescriptions d’antibiotiques sont vivement souhaitées par les professionnels et ce d’autant que ces prescriptions peuvent influencer le développement de résistance à ces antibiotiques. Est-ce que les antibiotiques améliorent les suites après avulsions de dents de sagesse ? Y a-t-il une diminution du taux d’infection post-opératoire si des antibiotiques sont administrés ? Est-ce que le ratio bénéfice/risque est suffisant grand autant pour le patient que pour la société pour justifier ces antibiothérapies ? Ce sont les questions critiques que l’on doit se poser lorsque l’on réalise une expérimentation clinique ? Malheureusement, le plan de cette étude ne peut aider suffisamment le praticien pour qu’il puisse répondre à ces questions ou à celle posée dans le titre.
Bien que le titre de l’étude annonce que les antibiotiques ont été administrés de façon prophylactique, le « timing » de la prescription n’obéit pas au critère de base de la prophylaxie qui veut que les antibiotiques soient présents sur le site opératoire avant le début du geste. Dans cette étude, les antibiotiques sont pris après la chirurgie dans un délai qui n’est pas mentionné. Pour que les antibiotiques aient un effet prophylactique vrai, les taux sanguins doivent être à 3 ou 4 fois la CMI avant l’agression bactérienne. D’ailleurs, le manque d’effet d’une administration post-opératoire d’antibiotiques a déjà été prouvé [1]. Donc, le terme « prophylactique » utilisé ici correspond plutôt à « prévention de l’infection ». De plus, la durée de prescription des antibiotiques, soit 5 jours, peut surprendre. En effet, les prescriptions de plus de 24 heures n’ont pas montré de bénéfice dans la majorité des études [2] et donc l’utilisation d’une unique dose d’antibiotiques doit être prise en considération. Il faut également considérer que, malgré ces insuffisances, de nombreux chirurgiens utilisent encore le même type d’antibiothérapie que celle de cet article.
Nous avons été confrontés au même dilemme lorsque l’on nous a demandé de donner notre opinion concernant l’administration des antibiotiques dans les avulsions de dents de sagesse [3]. Un sondage effectué auprès des chirurgiens maxillo-faciaux de notre état a montré que 97 0e ces chirurgiens prescriraient des antibiotiques dans les avulsions de dents de sagesse et ce même chez des sujets sains. Par ailleurs, la majorité de ces chirurgiens débutaient l’antibiothérapie seulement après la chirurgie et ils continuaient cette antibiothérapie pour une période plus longue que nécessaire.
Une mise au point rétrospective de notre pratique a abouti à la conclusion que la mise en place dans l’alvéole d’antibiotiques (tetracycline) avait un effet préventif sur les infections après avulsion de dents de sagesse, effet aussi grand que celui obtenu grâce à la prise d’antibiotiques avant l’intervention (véritable antibioprophylaxie) [3]. Pour les dents en désinclusion, notre taux d’infection était de 14,9 % en l’absence d’antibiothérapie. Ce taux passait à 5,9 % en cas d’utilisation d’antibiotiques par voie systémique et, enfin, à 2,1 % en cas d’utilisation d’antibiotiques (tétracycline) endo-alvéolaires. Ainsi, nous avons modifié notre pratique en limitant l’utilisation d’une antibiothérapie par voie générale à certains patients (risque d’endocardite, patients immuno-déprimés). Dans tous les autres cas, nous avons simplement placé de la tétracycline dans l’alvéole mandibulaire.
Enfin, il est important d’appréhender l’utilisation de ces prises d’antibiotiques en terme de bénéfice et de risque, pas seulement à l’échelle individuelle mais également à l’échelle collective. En effet, ces prescriptions inutiles d’antibiotiques chez un patient sain sont dénuées d’effets secondaires en dehors du risque allergique. Par contre, si le bénéfice individuel est légèrement diminué, ceci ne doit pas masquer le risque majeur de développement de résistance aux antibiotiques qui concerne la collectivité toute entière.
En conséquence, et en accord avec cet article, nous ne prescrivons plus d’antibiothérapie aux patients lorsqu’ils rentrent chez eux. Poeschl et coll confirment les données de la littérature et montrent à nouveau le peu de bénéfice de l’antibiothérapie post-opératoire prise per os.
source : Antibioprophylaxie post-opératoire dans les avulsions de dents de sagesse — une nécessité ?
POESCHL P.W., ECKEL D., POESCHL E.
J Oral Maxillofac Surg 2004;62:3-9.
Tirés à part : Traduction de C. Chossegros Service de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale, CHU Timone, 264, Rue St. Pierre, 13385 Marseille Cedex 5.
Références
[1] Pendrill K, Reddy J. The use of prophylactiv penicillin in periodontal surgery. J Periodontol 1980 ; 51 : 44-8.
[2] Dellinger EP, Gross PA, Barrett TL, et al. Quality standard for antimicrobial prophylaxis in surgical procedures. Infectious diseases Society of America. Clin Infect Di 1994 ; 18 : 422-7.
[3] Piecuch JF, Arzadon J, Lieblich SE. Prophylactic antibiotics for third molar surgery : a supportive opinion. J Oral Maxillofac Surg 1995 ; 53 : 53-60.