EXTRACTIONS, anesthésies, pose de couronnes…. Les dentistes syriens pratiquaient à peu près tout ce qu’offre un stomatologue digne de ce nom. A leur arc, il ne manquait en fait qu’une corde : un diplôme obtenu en bonne et due forme, ce qui ne les a guère empêchés de faire quelque 3 000 victimes.
L’incroyable affaire de ces faux praticiens venus de Syrie pour exercer l’art dentaire en région parisienne avait été mise au grand jour au mois de janvier dernier par la gendarmerie des Hauts-de-Seine, à partir d’une plainte déposée par une patiente de Sceaux, victime de l’un de ces charlatans. En tirant le fil de cette étrange histoire, les enquêteurs avaient découvert l’impensable : hébergés dans un hôtel parisien du XVIII e arrondissement, trente faux dentistes syriens officiaient à travers toute l’Ile-de-France, chacun muni d’une petite mallette contenant le matériel nécessaire aux interventions. Des interventions souvent pratiquées au domicile des patients, parfois dans des arrière-boutiques ou autres cabinets improbables, dépourvus en tout cas de toute hygiène élémentaire. Hier, quatorze d’entre eux comparaissaient détenus devant la 15 e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, pour répondre d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste et escroquerie en bande organisée, face à quelques-unes de leurs victimes et au Conseil de l’ordre, partie civile. Des peines allant de deux ans de prison, dont un avec sursis, à trois ans de prison ferme ont été requises à leur encontre. Othman, Walid, Khaled, Abdulaz et les autres ne nient pas les faits devant le tribunal. A peine cherchent-ils parfois à minimiser la lourdeur de certaines interventions qui s’apparentaient plus à de la maçonnerie qu’à de la stomatologie. Malgré quelques « tentatives » pour rendre plus professionnelles les interventions : le matériel, notamment, était plongé dans l’eau bouillante, dans une simple casserole placée sur un réchaud. « J’achetais de l’alcool, pour désinfecter les instruments », soutient l’un d’eux à la barre, sans sourire.
Une pratique connue Leur clientèle ? Des personnes pour la plupart extrêmement modestes, parfois démunies de titre de séjour, souvent maghrébines, turques ou égyptiennes, « recrutées » dans des bars populaires, des mosquées ou des foyers de travailleurs immigrés. Bref, des patients en situation précaire, attirés par les tarifs pratiqués – 75 ou 100 € la couronne – et peu enclins à porter plainte contre ces drôles de praticiens. Illégale et dangereuse, l’activité des faux dentistes était en revanche, particulièrement rémunératrice : sur l’un des comptes bancaires d’un prévenu, près de 60 000 € ont transité en une seule année !
Réseau ? Bande organisée ? L’instruction n’a pas permis d’élucider ce point, mais une chose est certaine : tous ces hommes se connaissaient et s’installaient dès leur descente d’avion dans l’hôtel de M. Z., à Paris. A la barre, l’hôte complaisant des faux dentistes, également prévenu, n’en fait d’ailleurs pas mystère : « C’était le point de rassemblement des Syriens. Quand l’un d’entre eux s’en allait, un autre le remplaçait… Ils font cela depuis très longtemps. Il y a des années déjà, un autre groupe de Syriens pratiquait la chirurgie dentaire, vers Pigalle. » Ce que n’explique pas M. Z., en revanche, c’est la découverte de mallettes, dans ses caves, contenant du matériel de dentisterie, pas plus que l’existence d’une cache où les gendarmes ont découvert quelque 7 000 €. Dans l’impossibilité de démontrer l’existence d’un réseau organisé, le substitut du procureur a tout de même insisté sur la dangerosité des prévenus et les conséquences que leurs actes risquaient d’entraîner, même à long terme, sur la santé des prévenus… Les onze parties civiles, elles, souhaitent être dédommagées à hauteur de 55 000 €. Le jugement a été mis en délibéré.
Cécile Beaulieu
Le Parisien , samedi 12 juin 2004